Comment survivre au harcèlement ?
- Alexane
- 29 nov. 2018
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 mars 2021
Face à une situation stressante ou menaçante, notre corps y répond soit par la fuite, le combat ou la soumission. Cette dernière, souvent oublié fait l'objet de l'épisode d'aujourd'hui.
Avant de commencer, je voudrais informer les auditeurs qui pourraient y être sensibles que cet épisode va aborder le harcèlement et les pensées suicidaires.
Qu'est-ce que le freeze ou la soumission face à une situation stressante ou menaçante ? Même si elle est souvent oubliée, il semblerait que cette réaction soit la plus commune face à un danger. Freezer est une réaction primitive, la tentative que stopper le prédateur de nous attaquer. La soumission, c'est à dire la non-opposition, nous évite d'être d'avantage blessé. Les personnes qui freezent ou se soumettent face à une expérience traumatique ne le choissisent pas. Cependant, bien souvent, elles s'en veulent d'avoir été passives, alors qu'en réalité, elles n'ont que peu de contrôle sur leur réaction instinctive de protection.
Quand j'avais 14 ans, j'ai commencé à me faire harceler. Alors que j'avais invité une amie chez moi pour qu'on aille à la piscine ensemble, j'ai eu mes règles pour la première fois. Un peu paniquée et ayant besoin de conseils je me suis tournée vers ma mère pour lui demander de l'aide. Cette scène, vue par mon amie, a été le déclencheur de longs mois de solitude et d'enfer. Le lendemain, au collège, tout le monde était au courant et certaines rumeurs avaient été lancées. À partir de ce jour, chaque partie de mon corps et de ma personne fera l'objet de commentaires et de moqueries, dans les couloirs, devant les classes, à l'entrée du collège, pendant les pauses. J'étais plus seule que jamais.
Puis tout est allé crescendo : je me suis fait insulter, bousculer à chaque fois qu'on me croisait, on m'a craché dessus et à de multiples reprises on a crevé les pneus de mon vélo, mon moyen de transport à l'époque. On m'a fait des croches pieds alors que je marchais en béquille après une opération au niveau du ventre. Je n'ai pas fui, je n'ai pas combattu, j'ai freeze.
On a menacé de me frapper en réunion à la sortir du collège. Puis on l'a fait... Je me suis fait frapper pendant un cours de sport alors que le prof avait le dos tourné.
C'est à ce moment-là que j'ai compris que je n'étais plus la seule menace pour ma propre vie. Que ce n'étaient pas seulement les pensées noires dans ma tête qui pouvaient me causer du tort.
Alors, accompagnée de mes parents, on est allés déposer un main courante. On n'a pas porté plainte, car l'agresseuse aurait été convoquée et je ne voulais pas aggraver ma situation. Le proviseur a été prévenu, mais sa réponse a été trop légère à mon goût.
Je n'ai ni combattu ni fui la situation, j'ai freeze, je m'y suis soumise extérieurement.
J'ai même fait pire, comme certains me l'ont fait remarqué à l'époque, j'ai fait la victime. Pendant toute cette période, je n'ai cessé de me répéter que ce qui m'arrivait était injuste et que je ne le méritais pas. Et ça m'a fait tenir, c'est comme ça que j'ai résisté dans ma tête.
Aujourd'hui, à travers cet épisode, j'ai envie, et même besoin de reconnaître ce qui s'est passé. J'ai besoin de reconnaître que j'ai été victime de harcèlement. J'ai besoin de reconnaître que ce qui s'est passé n'était ni normal, ni acceptable. Non, ce n'était pas une leçon à apprendre, dans la vie tout n'est pas tout le temps une question de leçon à tirer. Je n'avais pas besoin de cette expérience pour être forte et courageuse et avec le recul, je n'ai pas non plus besoin d'attribuer une explication à cet évènement.
Aujourd'hui, j'ai besoin de me donner à moi-même, pour moi-même, la reconnaissance que l'on ne m'a pas donnée à l'époque et qui selon moi, continue d'être niée bien trop souvent pour d'autres, par nos institutions mais aussi collectivement. Il n'y a qu'à constater à quel point la victimisation et la responsabilisation sont mises à toutes les sauces et vidées de leurs sens, et ce souvent à des fins marketings.
Je reconnais le harcèlement que j'ai vécu, je n'ai pas de haine ou de colère envers ses auteurs. Dire que j'ai été victime de harcèlement ne veut pas, pour moi, dire que j'ai été victime de X ou Y. Les personnes derrières ça n'ont aucune importance pour toi. C'est pour cela que me reconnaître comme victime de harcèlement ne confère aucune position de supériorité à ces personnes, mais au contraire me permets d'écrire la fin de cette histoire.
En revanche, il est hors de question pour moi de me raconter que j'ai créé la réalité dans laquelle je me trouvais, que j'ai attiré à moi cette situation de part mes mauvaises ondes ou je ne sais quoi d'autre. Ces citations, souvent vide de sens et de contexte qu'on applique à tout et n'importe quoi ne font pas partie de mon vocabulaire face à cette situation.
Je n'ai pas besoin qu'on me dise que j'ai été ou je suis responsable de cet événement pour dignement d'empouvoirement, comme on dit. Je ne pense pas que dire à tout-va qu'on est responsable de tout, est la seule façon de s'en sortir et d'aller de l'avant. Je comprends que ces formulations soient nécessaires pour certains, mais pas pour moi.
Je fuis les discours qui teinté d'amour-vache qui me dise de me bouger les fesses et de changer de Mindset pour changer ma vie.
Je me questionne assez souvent pour savoir que parfois, ça va au-delà de simples croyances limitantes et que ce n'est pas faire preuve de mauvaise fois que d'admettre que la situation est complexe et qu'elle n'hésite de creuser sous plusieurs couches. Je préfère me dire que j'ai les capacités, les ressources en moi et les outils pour avancer. Et quand j'oublie que j'ai ces ressources ou que je n'ai pas les outils nécessaires, je peux demander de l'aider et me faire accompagner, ça aussi, c'est une preuve de courage.Je préfère reconnaître qu'avoir freeze et "fait la victime" m'a préservé, m'a été utile, m'a fait survivre à cet événement. Je reconnais que j'ai fait de mon mieux avec ce qui était à ma disposition à ce moment-là. J'accepte que la réponse de survie de mon corps, à chacune des menaces est été de freeze. Je reconnais que ce qui m'a permis de tenir est, entre autres, d'avoir plongé dans mon monde intérieur, d'avoir créé et surtout écrit, d'avoir mis des mots sur mes maux. Même si ça ne m'a pas empêché de faire une décompensation un an plus tard.
Je reconnais que ce qui m'a permis de ne pas passer à l'action lorsque je voyais une corde trainer dans le jardin, c'est le fait de me dire que la roue aller tourner, que ce je vivais n'était pas normal, que je n'avais rien fait pour mériter ça, que c'était injuste et ne devrait être vécu par personne. Et il n'y a aucune honte à ça.
Face à un événement menaçant, aucune réaction n'est meilleure qu'une autre.
La plupart du temps, elles sont inconscientes et cherchent à nous préserver. Comme je le disais dans un épisode précédent, c'est lorsque ces réponses deviennent un mode de fonctionnement régulier que cela peut être néfaste. Et il est en de même pour les mots que l'on pose sur des situations vécues.
Dire aujourd'hui que j'ai été victime de X situation ne fait pas de moi une victime, ad vitam aeternam.
Je n'ai jamais accepté ni nommé ma dyslexie par peur de rentrer dans le club associé et que ça me colle à vie. Sauf que comme pour tout, il y a des nuances. Pour moi, mettre un mot, une étiquette sur cette boite dans laquelle je me prends les pieds de temps en temps me permets de la ranger dans les archives et d'aller plus loin dans le travail de reconstruction. J'ai l'impression d'avoir besoin de mettre des mots sur des événements de ma vie et de m'en détacher aussi tôt, comme si désormais la conversation pouvait reprendre.
Si je fais cet épisode aujourd'hui, c'est que cela fait deux ans que j'ai démarré ce podcast (bon ok avec une pause de 9 mois). Et malgré toute ma bonne volonté et mon travail d'introspection, j'ai toujours et même de plus en plus la trouille de m'exprimer, enfin de m'exprimer comme je le fais depuis ces 4 derniers épisodes. Je suis malade de stress pendant une semaine après une nouvelle diffusion. Mais récemment, j'ai compris qu'inconsciemment, j'avais peur qu'on me tombe dessus. J'ai peur de me faire grande et de montrer qui je suis, parce qu'à l'époque, alors que j'étais aussi petite et discrète que possible, j'ai été une cible ... Que se passera-t-il si on ne voit que moi ?
J'ai compris que pour avancer, j'avais besoin d'accepter que cet événement appartienne au passé. Que celle que j’étais n’avait pas les ressources que j’ai aujourd’hui. Je n’ai pas besoin de revivre cette époque et je n’ai pas à le faire. J’ai évolué, je sais que ce n’était pas personnel et que je suis forte. Je suis fière de celle que j’étais parce qu’elle ne m'a pas abandonné, elle a grandi comme elle le pouvait et elle m’a aidée à devenir celle que je suis.
Pour elle, je ne peux plus avoir peur.
Alors j'apprends à nourrir l'estime, l'amour et la confiance en soi. J'apprends également à ne plus associer à cet événement le fait de m’exposer, de parler, de partager mon avis, de me montrer telle que je suis.
Enfin je souhaite plus que tout que les termes "responsabilisation" et "victimisation" ne soit pas le début, le milieu ET la fin de la discussion. Il y a tellement de choses au-delà de ces termes tendances. Et reconnaître que l'on est victime d'une situation n'a rien à voir avec refuser je ne sais quelle responsabilité, ni donner son pouvoir à je ne sais qui.
Je suis forte tout comme toi.
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